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Se coucher moins bête : Scientifiquement, le HPI n’existe pas !

Par Nicolas B , le juin 25, 2022 , mis à jour le juin 25, 2022 — buzz, france, hpi, news, santé, série tv, viral - 10 minutes de lecture
Se coucher moins bête : Scientifiquement, le HPI n’existe pas !

par Philippe Mouillot, IAE de Poitiers

On n’a jamais autant entendu parler du concept de « haut potentiel intellectuel », ou HPI. La série éponyme, qui met en scène une jeune femme d’origine modeste embauchée comme consultante par la police pour résoudre des affaires et dont la saison 2, diffusée par TF1 ce printemps, a enregistré de fortes audiences. Quant à la presse, elle commence à s’intéresser au marché florissant des diagnostics de HPI, qui se monnayent jusqu’à 700 euros, en s’interrogeant notamment sur les arnaques qui peuvent exister en la matière. Cette interrogation apparaît en effet d’autant plus légitime que le concept de HPI ne repose sur une aucune réalité démontrée scientifiquement.

Comment définir les HPI sans emprunter, voire empiéter, sur les concepts de don (de l’anglais gift, le don, ayant abouti à gifted, doué), d’intelligence ou encore de potentiel tellement à la mode aujourd’hui ? L’étude de l’intelligence et des intelligences multiples n’est pourtant pas nouvelle ; le psychologue américain Louis Leon Thurstone y travaillait déjà en 1927. Après avoir fait passer des tests à un panel de plus de 200 étudiants, il démontra que l’intelligence était en fait composée de sept facteurs distincts les uns des autres : (1) la vitesse perceptive, (2) la vitesse numérique, (3) la fluidité verbale, (4) la pertinence verbale, (5) l’aptitude spatiale, (6) la mémoire et (7) le raisonnement. Il les appela les « aptitudes primaires mentales ». Et en 1983, Howard Gardner, autre psychologue américain confirmera cette acception de complexité. On ne parlera alors plus d’unicité de l’intelligence mais d’intelligences multiples.

Bande-annonce de la série HPI qui a contribué à populariser le concept (TF1, avril 2022).

Un quotient intellectuel, ou QI, se mesure. Dans l’acception de la Mensa, il s’évalue sur la base d’un écart à la moyenne ou de l’appartenance à une minorité statistique en termes de réussite à des tests. La méthode WAIS permet de réaliser une mesure psychométrique, autrement dit de calculer un QI : en créant sa propre échelle de mesure de l’intelligence en 1939, l’ambition du psychologue américain David Wechsler était de concurrencer le test de Stanford-Binet qui était alors l’outil de référence. Le QI est donc le résultat d’une série d’épreuves en lien avec le verbe, le chiffre, l’espace ou encore le mouvement permettant de parvenir à un score positionnant l’individu au sein de panels sociaux. Au-delà de certaines moyennes, celui-ci est considéré comme HQI, autrement dit doté d’un « haut quotient intellectuel ».

Le HPI, une probabilité

On parle alors facilement de talent ; or, le talent n’est pas la même chose que le HQI. Dans son cas, on dénote la présence de compétences remarquables chez l’individu, compétences parfaitement distinctives et identifiables mais qui ne sont pas forcément la conséquence de la présence d’une intelligence atypique. En effet, contrairement à la compétence, le talent correspond à une excellence individuelle qui se manifeste dans un domaine précis et à un moment donné. Mais à l’inverse du QI, le talent ne se mesure pas. En ce sens, si les personnes HQI sont la plupart du temps talentueuses du point de vue leur efficience, notamment en termes de capacités dynamiques, les individus talentueux ne sont pas nécessairement HQI car leur performance est à la fois limitée à un domaine et variable dans le temps.

Pour des chercheurs tels que Cécile Dejoux et Maurice Thévenet, la notion de talent peut d’ailleurs mener à l’association de notions naturellement incompatibles les unes avec les autres en gestion des ressources humaines. Le nombre de variables mobilisées par la psychologie cognitive, la sociologie et les sciences de gestion pour parvenir à un consensus n’aide sans doute pas à clarifier les positions, ce qui rend la définition du talent difficile à stabiliser et le questionnement autour de sa raison d’être en gestion.

Venons-en maintenant au problème du potentiel et donc de son ambitieux cousin, le HPI. Si la notion de haut potentiel est encore plus complexe à définir que celle de talent, c’est pour deux raisons. La première tient au fait que la littérature ne s’accorde pas sur une acception définitive. Et la seconde est simplement la conséquence de la définition même du potentiel : une probabilité.

Le potentiel constitue donc une promesse ; mais il n’est que cela. Et s’il est complexe à circonscrire c’est parce qu’il ne bascule du statut de probabilité à celui de réalité qu’à l’aune de résultats dont il est souvent impossible de déterminer le levier majeur. En effet, la probabilité que représente le potentiel peut s’ancrer dans de multiples sources. Évidemment, un individu talentueux, voire HQI, aura certainement de bonnes chances de s’épanouir professionnellement. Son potentiel sera donc plus ou moins « haut ». Mais une personne travailleuse et volontaire aura également de belles chances de succès, de même que celles et ceux qui bénéficient d’importants réseaux d’influence ou dont la famille est l’héritière d’empires industriels.

Le potentiel est donc une perspective plus conjoncturelle que personnelle. Si le HQI est naturellement à haut potentiel, s’il vit mal sa différence, s’il s’isole et s’ennuie (bore-out) ou entame des questionnements existentialistes (brown-out), son potentiel sera bien inférieur à une personne au QI situé dans la moyenne mais bien dans sa peau, motivée et travailleuse.

Dans un article de recherche publié en 2018, nous avons étudié plus en détail cette mosaïque d’intelligences en proposant notamment une distinction entre talents, hauts potentiels et hauts quotients intellectuels, trois notions fréquemment substituées les unes aux autres, notamment dans les entreprises, et malgré l’existence de différences marquées.

Comment détecter les hauts quotients intellectuels en entreprise ? Interview de Philippe Mouillot et Dominique Drillon pour Xerfi canal (juin 2019).

Pour résumer, le HQI est nécessairement talentueux et à haut potentiel mais cela ne va pas forcément le rendre heureux ni le faire se réaliser professionnellement, et le talent est certainement intelligent mais pas nécessairement HQI et/ou HPI. Quant à ce dernier, il n’est qu’une probabilité d’évolution qui peut être en lien – ou non – avec l’intelligence et le talent.

Il est donc délicat à la fois de choisir de distinguer des candidats à un poste à partir de ces éléments, ce que nous avions discuté en 2017 dans une publication scientifique. Nonobstant ces considérations, deux questions restent tout de même en suspens : un HQI est-il une réelle preuve d’intelligence et pourquoi les trois lettres HPI sont-elles aujourd’hui privilégiées ?

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Éviter une mesure précise

À la première question, la réponse est non. En effet, encore une fois le QI est une mesure que l’on quantifie sur une échelle qui impose naturellement une verticalité, donc une supériorité, d’où le « H ». Car qui dit « haut » exige la présence d’un « bas », de la même manière que parler de « surdoués » impliquerait de facto la présence de « doués » et de « sous-doués », ce qui peut être blessant.

Mais l’intelligence est polyforme, multiple et surtout très complexe. Un HQI peut « manquer d’intelligence » là où une personne dont les capacités mentales sont dans la moyenne peut trouver des réponses très perspicaces simplement grâce à son bon sens. En outre, quand bien même l’intelligence serait marquée, cela ne signifie pas qu’elle sera mobilisée au bon moment, pour de nobles causes ou sans être accompagnée d’arrogance. Comme notre prochaine publication le démontre, la valeur intellectuelle vient alors s’apparenter à la sagesse, à l’empathie, à l’émotion, ou encore à l’intuition rendant le concept d’intelligence de plus en plus abscons.

Le HQI n’est donc pas une preuve d’intelligence absolue ; il est certes une preuve quantifiable de la présence d’une intelligence multiple permettant d’aller plus vite et plus loin mais pas forcément mieux. Et puis l’intelligence étant innée – on ne devient pas plus intelligent ou plus stupide – valoriser une vertu qui n’est pas la conséquence d’un effort ou d’un travail était sans doute une limite sociale difficile à dépasser. Voici peut-être là l’une des raisons pour lesquelles, quand bien même on a toujours considéré l’intelligence lors des phases de recrutement professionnel, on n’a paradoxalement jamais osé la mesurer avant l’embauche.

Philippe Mouillot ; « Le HQI, entre spleen et idéal » (TedX Poitiers, octobre 2020).

Quant au terme « talent », il est habile car il permet de valoriser à la fois l’intelligence et le travail sans rendre l’un prédominant sur l’autre. Imaginez un cuisinier qui aurait les outils idoines et des produits d’excellente qualité mais qui, sans entraînement à la manipulation de l’ensemble, ne pourrait pas réaliser de recettes remarquables. L’inné permettant d’acquérir plus vite et plus finement des compétences nécessitant malgré tout du travail pour parvenir à leur maîtrise, le talent permet à tout un chacun de se dire qu’il en a forcément un caché quelque part même si celui-ci est parfois très bien caché. Mais le talent s’est peu à peu vulgarisé, de très nombreuses organisations et institutions choisissant de « détecter les talents », de « promouvoir les talents », voire de « fabriquer » ou de « fournir des talents ».

Face à ces deux « mauvais choix » que sont le talent et le HQI, la notion de potentiel peut apparaître comme une solution pratique pour résoudre le problème de la discrimination et de la performance. Le recours au HPI permettrait d’éviter la mesure du QI, d’identifier le talent et de remettre le travail au cœur de l’équation rendant ainsi toute son incertitude à la réussite. La notion de « hauteur » démarquerait les performances des individus aux yeux de celles et ceux pour lesquels cette distinction a du sens, celle de « potentiel » nourrirait la probabilité du succès comme de l’échec rendant ainsi équitable l’accès à l’épanouissement et celle « d’intelligence » rappellerait que la vie n’est finalement qu’un subtil mélange d’inné et d’acquis. Mais que l’on se place dans l’acception HQI, HPI ou talent, même si le HQI est la seule donnée scientifiquement mesurable, aucune ne permet vraiment de qualifier ces personnes aux intelligences particulières bien réelles qui font de la ressource humaine une richesse humaine.

Finalement, quel que soit le terme que l’on choisisse et les paradoxes de gestion que cela soulève, l’essentiel n’est pas de détenir les clés d’une intelligence multiple, d’un potentiel prometteur ou d’un talent unique mais bien de savoir ce que l’on compte en faire une fois que l’on a pris conscience de notre place et de notre rôle dans ce monde.

Philippe Mouillot, Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion, IAE de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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