Variole du singe : où en est-on en France ?
par Xavier Lescure, Université Paris Cité
Le 1er juillet dernier, l’OMS faisait part de son inquiétude quant à la flambée des cas de variole du singe en Europe, dont le nombre avait triplé en 15 jours. Une semaine plus tard, en France, la Haute autorité de santé préconisait d’élargir la vaccination préventive aux groupes les plus exposés, un avis suivi par le gouvernement.
Professeur des universités et praticien hospitalier à l’hôpital Bichat (AP-HP), Xavier Lescure fait le point sur la situation et revient sur les signes qui doivent alerter.
The Conversation : Au 12 juillet, Santé publique France dénombrait 912 cas confirmés de variole du singe en France. Comment se transmet le virus responsable de la maladie ? Quels signes doivent alerter ?
Xavier Lescure : Le virus Monkeypox, qui cause cette maladie, peut s’attraper en touchant les lésions (boutons, pustules) d’une personne infectée ou des objets qui ont été contaminés (linge, couverts, etc.). Il est en effet capable de survivre plusieurs jours sur les surfaces inertes. Il pénètre dans l’organisme par des microlésions de la peau, qui sont tout le temps présentes mais qu’on ne remarque pas forcément. Se gratter le nez avec des mains contaminées est une autre façon de s’infecter.
La phase d’incubation dure de 6 à 13 jours. Elle est suivie par une phase prodromique qui dure environ deux jours pendant laquelle se manifestent les signes avant-coureurs de la maladie : fatigue, fièvre, maux de tête, douleurs musculaires, augmentation du volume des ganglions lymphatiques…
Durant cette période, le virus est présent dans le sang. Il est possible qu’il puisse se transmettre par voie aérienne (via de grosses gouttelettes ou par aérosol). Toutefois, les preuves scientifiques manquent encore pour étayer solidement cette hypothèse. On considère donc que l’on est généralement peu – voire pas – contagieux durant cette phase, qui n’est pas constante chez tous les malades.
On devient en revanche contagieux une fois que les lésions apparaissent, car elles contiennent des virus. Initialement, les symptômes ressemblent à ceux de la varicelle à quelques différences près : les lésions ne sont pas tout à fait les mêmes et, surtout, leur localisation est différente. Contrairement à la varicelle, elles peuvent ici se développer sur la paume des mains ou la plante des pieds.
L’éruption caractéristique débute souvent sur le visage ou au niveau génital (en fonction du mode de transmission). Les lésions sont associées à des douleurs intenses, qui peuvent se manifester avant l’éruption de la lésion, et s’accompagnent souvent de ganglions.
The Conversation : En quoi cette épidémie diffère-t-elle de celles qui sont habituellement observées dans les régions où le virus est endémique, en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest ?
Xavier Lescure : C’est la première fois qu’un si grand nombre de contaminations interhumaines est documenté. En Afrique, la transmission entre individus n’est habituellement pas très importante : quand le passage se fait de l’animal à l’humain, on constate quelques cas secondaires mais l’épidémie s’éteint généralement d’elle-même.
Cette différence s’explique par l’émergence d’un autre mode de contamination dans les pays occidentaux : la transmission par contacts intimes, au cours des rapports sexuels. Pour l’instant, ces contaminations concernent les personnes à partenaires multiples, en très grande majorité des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (au 6 juillet, seules quatre femmes et deux enfants avaient été contaminés, ndlr).
Autre différence : dans les pays occidentaux, aucun décès n’est à déplorer pour l’instant et il n’y a eu que peu d’hospitalisations. Une des raisons est que les patients touchés, des hommes jeunes principalement, ne sont pas à risque de forme grave. En outre, les surinfections bactériennes, courantes en Afrique et souvent responsables d’aggravation de l’état des malades, sont prises en charge sans difficulté en France.
Rappelons que la vaccination contre la variole (qui protégeait aussi contre la variole du singe) a été stoppée après l’éradication de la maladie, voici plus de 40 ans. Cet arrêt n’est peut-être pas étranger à la réémergence du Monkeypox dans les pays du Sud, puis chez nous.
The Conversation : Ce mode de transmission inédit se traduit-il par d’autres formes cliniques de la maladie ?
Xavier Lescure : Oui. Les patients que nous recevons présentent des atteintes qui diffèrent assez fortement de celles décrites dans les zones d’endémie.
En plus des lésions dermatologiques classiques, on constate des angines importantes, des inflammations de la muqueuse rectale très douloureuses, des pharyngites, des atteintes oculaires (inflammation de la cornée), des inflammations de l’urètre… Par certains aspects, ces présentations cliniques rappellent les infections sexuellement transmissibles. Mais le port du préservatif ne suffit pas à se protéger de la maladie puisque le contact peau contre peau suffit à transmettre le virus.
Même si la variole du singe est une maladie relativement bénigne pour laquelle nous possédons des traitements et des vaccins, mieux vaut éviter de l’attraper… En effet, les malades que nous recevons souffrent beaucoup, au point de devoir parfois recourir à la morphine. Par ailleurs, les lésions peuvent laisser des cicatrices dysesthésiques, souvent situées sur le visage, ce qui peut s’avérer moralement difficile à supporter.
Enfin, la maladie touche à l’intime : elle peut mettre en lumière des comportements sexuels qui ne sont pas forcément toujours assumés.
The Conversation : Le nombre de lésions peut varier d’une personne à l’autre. Sait-on pourquoi ? Peut-on en limiter la quantité, ou infléchir leur évolution ?
Xavier Lescure : Nous disposons actuellement de peu de données scientifiques concernant les raisons de la variabilité du nombre de lésions (qui est un indicateur de l’importance de l’atteinte : au-delà de 100 lésions, on est face à une forme dermatologique grave). Il dépend très probablement de la génétique de l’hôte. La quantité de virus au moment de la contamination joue peut-être aussi un rôle, tout comme le mode de contamination.
On ne peut rien faire pour limiter le nombre de lésions, mais on peut limiter le risque de surinfection bactérienne. Il faut pour cela éviter de trop se gratter, même si les lésions démangent. Les désinfecter et les recouvrir d’un pansement peut aider, sans compter que cela peut aussi limiter la transmission.
Certains traitements sont potentiellement capables de raccourcir la durée de l’évolution de la maladie. Il s’agit d’antiviraux : le Tecovirimat, le brincidofovir et le cidofovir (par ordre de préférence selon les recommandations du Haut Conseil de la santé publique). Mais ces médicaments sont difficiles d’accès. Ils sont indiqués dans les formes graves ou pour les personnes à risque de formes graves, et peuvent, au moins en théorie, accélérer la cicatrisation.
The Conversation : La variole du singe pourrait-elle circuler plus largement dans les mois à venir ?
Xavier Lescure : Prévoir l’évolution de l’épidémie est à ce stade très difficile car les modèles mathématiques sont encore en cours d’élaboration.
La tâche est d’autant plus compliquée que le mode de transmission actuel est inédit, et les chaînes de transmission qui se mettent en place difficiles à établir. Il est compliqué, pour ne pas dire impossible, de retracer les contacts des personnes qui ont de multiples partenaires sexuels dans un contexte d’événement festif.
En outre, même si les malades sont peu contagieux, ils le restent longtemps, ce qui explique l’isolement de 21 jours préconisé en cas d’infection (soit dit en passant, l’adhésion à un isolement de trois semaines étant difficile à obtenir, les recommandations ont évolué vers un allègement, afin d’augmenter l’adhésion aux contraintes concernant les situations les plus à risque).
Plus le temps passe, plus le risque que les contaminations s’étendent au-delà de la communauté initialement concernée augmente. Une crainte est que le virus finisse par atteindre des personnes à risque de développer des formes sévères. C’est le cas des personnes immunodéprimées, des enfants et des femmes enceintes : le Monkeypox est capable de passer le placenta, ce qui peut entraîner des fausses couches ; par ailleurs, les nouveau-nés peuvent aussi être contaminés au moment de l’accouchement.
Un autre risque potentiel est la mise en place de ce que l’on appelle une rétro-zoonose : le virus s’implante dans un réservoir animal vivant sous nos latitudes (comme les rongeurs, essentiellement), ce qui aboutirait à ce que la maladie devienne endémique dans nos contrées.
The Conversation : Dans ce contexte, la Haute autorité de santé a recommandé le 8 juillet de proposer la vaccination aux « personnes les plus à risque d’exposition », à savoir « les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et les personnes trans qui sont multipartenaires, les personnes en situation de prostitution, les professionnels exerçant dans les lieux de consommation sexuelle ». Que pensez-vous de cette approche ?
Xavier Lescure : Nous avons la chance, d’une part, d’avoir un vaccin de troisième génération bien toléré, sur lequel nous avons du recul avec d’autre micro-organismes et, d’autre part, de faire face à une maladie qui, pour le moment, ne concerne qu’une population assez facile à cibler.
Déployer la vaccination à destination des personnes qui ont de multiples partenaires sexuels est donc probablement un bon moyen d’éviter que l’épidémie ne se propage. La balance bénéfice-risque, que ce soit à l’échelle individuelle ou collective, est clairement favorable. C’est probablement la meilleure solution.
La question est désormais de savoir si la vaccination va pouvoir être rapidement déployée. C’est important, car la saison estivale, propice aux rencontres, aux manifestations culturelles de masse, pourrait accroître les transmissions groupées, et aboutir à une propagation plus large de la maladie.
Pour aller plus loin : Monkeypox Info service, la plate-forme téléphonique mise en place par le gouvernement ; 08 01 90 80 69.
Xavier Lescure, PU-PH, Service de Pathologie Infectieuse, Hôpital Bichat, AP-HP, Université Paris Cité Paris-Diderot, INSERM UMR 11137, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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