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Télé-Réalité : Comment s’explique le succès des émissions de télé-réalité immobilières ?

Par Nicolas B , le juillet 9, 2022 , mis à jour le juillet 9, 2022 — buzz, france, Netflix, télé-réalité, téléréalité, télévision - 8 minutes de lecture
Télé-Réalité : Comment s’explique le succès des émissions de télé-réalité immobilières ?

par Carine Farias, IÉSEG School of Management – Crédits Image à la Une Netflix

Depuis plus d’une dizaine d’années, de nombreuses émissions de téléréalité et de télé-crochet qui s’appuient sur l’industrie immobilière occupent le paysage audiovisuel français. Récemment, la diffusion de la série de téléréalité L’Agence, programmée sur TMC en 2020 et sur la plate-forme Netflix depuis juin 2021, confirme cette tendance de fond.

Mais comment expliquer une telle passion nationale pour le quotidien d’une famille d’agents immobiliers de Boulogne-Billancourt qui vend des maisons à 15 millions d’euros ?

Jouer sur les émotions

L’impact des émissions télévisées sur les individus et la société est en grande partie dû aux émotions qu’elles suscitent. En effet, nos expériences sensorielles impactent fortement les perceptions et les jugements que nous portons sur les phénomènes sociaux et organisationnels.

Or, les films et émissions de télévision se fondent sur une construction filmique (ou éditoriale) qui suscite et orchestre des émotions particulières envers les spectateurs. Lorsque les messages audiovisuels provoquent une résonance émotionnelle, c’est-à-dire lorsque l’expérience esthétique qu’ils offrent renforce les schémas normatifs et les codes institutionnels partagés par les téléspectateurs, ils auront un impact d’autant plus fort dans la construction d’imaginaires et de représentations sociales transcendant la télévision.

Un double phénomène d’identification

Les émissions de téléréalité consacrées au marché immobilier ouvrent la possibilité d’une double résonance émotionnelle de la part des téléspectateurs. La première peut s’opérer via l’identification auprès des acheteurs qui sont représentés dans ces émissions. L’achat d’un bien immobilier étant un processus souvent chargé d’émotions complexes, au vu des multiples implications économiques et socio-culturelles auxquelles il renvoie, cette résonance peut être particulièrement forte (et généralement positive).

La seconde se situe autour de l’identification potentielle auprès des agents immobiliers. Leur point de vue constitue souvent l’ancrage narratif central de ces émissions, comme c’est le cas dans l’émission L’Agence, mais aussi dans Chasseurs d’Appart, et dans une moindre mesure de Recherche appartement ou maison.

Le point de vue privilégié dans ces programmes est généralement celui des personnages « agents immobiliers », mais un narratif récurrent pousse à une résonance émotionnelle auprès d’un public plus large. En effet, un grand nombre d’agents immobiliers racontent dans ces émissions leur parcours de reconversion professionnelle. L’horizon d’une reconversion professionnelle facile et réussie, vers un métier montré comme épanouissant et rémunérateur fait écho à un imaginaire social relevant de la liberté de choix, de la prise d’autonomie, de la rupture délibérée et du renouveau. Si l’on en croit le succès commercial et médiatique du livre de David Graeber Bullshit Jobs publié en 2018, qui montre qu’un grand nombre de travailleurs souhaiterait apporter plus de sens à leur travail, cette idée peut sembler particulièrement séduisante.

Pourtant, derrière cette image idyllique se cachent les réalités diverses et complexes d’un métier touché par ce que la sociologue Lise Bernard qualifie de « précarité en col blanc ».

Une téléréalité à part

Cette émission présente le quotidien de la famille Kretz, à la tête d’une entreprise familiale française opérant dans l’immobilier de luxe, et reprend certains codes classiques de ce type d’émission. Une fois de plus, c’est la perspective des agents immobiliers qui est adoptée : l’intrigue principale se situe autour de la capacité de ces agents à proposer des biens immobiliers qui vont satisfaire leur clientèle. Le narratif classique de la reconversion professionnelle y est aussi représenté. Nous apprenons dès le premier épisode que Sandrine et Olivier, parents de quatre enfants, ont créé l’entreprise Kretz & Partners après une double reconversion : Sandrine était auparavant institutrice et Olivier directeur commercial.

Néanmoins, cette émission de téléréalité se distingue des autres émissions du genre principalement parce qu’elle est centrée autour d’une seule entreprise : une agence immobilière familiale spécialisée dans le luxe. Les représentations sociales qu’elle façonne sont principalement liées aux mythes associés à l’entrepreneuriat familial. En substance, l’émission propose une représentation idéalisée de l’organisation et de la réussite d’une entreprise familiale, où les liens familiaux transcendent et humanisent les affaires, au point que ces liens familiaux soient présentés comme la raison première de la réussite commerciale de l’entreprise.

Pour bien comprendre ces choix et filtres éditoriaux, il est important de noter qu’une telle émission, centrée sur une seule entreprise, est avant tout un outil promotionnel déguisé en documentaire. A minima, elle doit permettre de renforcer l’image de marque de l’entreprise. Il n’est donc pas étonnant que les choix et filtres éditoriaux permettant de construire une représentation spécifique de l’entreprise familiale collent en tout point aux éléments de différenciation de la proposition de valeur de l’entreprise en question.

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Une visite sur le site de Kretz & Partners permet de voir que la dimension familiale de l’organisation est la pierre angulaire de leur argumentaire de vente. Ils ne se contentent pas de faciliter l’échange de biens immobiliers, mais promettent avant tout une expérience relationnelle personnalisée, généreuse, émotionnelle et mémorable auprès de leurs clients. Et cette promesse est fondée sur une extension des liens familiaux sur la manière de gérer l’entreprise. Ce positionnement se reflète dans l’émission, qui met en scène des relations familiales idylliques garantes de l’efficacité organisationnelle de l’agence, avec quelques frictions superficielles et bien choisies qui humanisent et crédibilisent cette représentation.

L’un des différends exposé dans l’émission relève d’une difficulté caractéristique des entreprises familiales, la question de la transmission. La transmission de l’entreprise familiale est reconnue comme étant une période particulièrement intense en émotions ambivalentes concernant toute la famille. Ces émotions sont parfois liées à des freins psychologiques pouvant entraver la transmission de l’entreprise familiale. Mettre en scène les doutes des plus expérimentés quant au fait que le plus jeune fils rejoigne l’entreprise familiale ou des désaccords sur l’éventuel départ de l’entreprise de l’aîné vise à susciter de l’empathie envers cette famille cherchant à maintenir son unité autour d’un projet commun. Mais les désaccords miss en scène ne dégénèrent jamais en conflits et sont rapidement résolus : l’entreprise familiale, fondée sur des liens de confiance forts, surmonte toutes les épreuves, happy end garanti.

L’attrait pour l’immobilier de luxe

En dehors de la dimension familiale de l’entreprise comme un pivot de son succès, Kretz & Partners se positionne sur l’immobilier de luxe, un univers qui a tendance à fasciner les téléspectateurs.

Là encore, la construction filmique et éditoriale de l’émission doit faire écho à ce positionnement dans l’univers du luxe, d’autant plus que l’entreprise propose un service de production de vidéos à ses clients. L’émission, publicité géante, permet à l’entreprise de montrer son savoir-faire en matière de mise en valeur des biens qui lui est confiée. On peut notamment remarquer l’utilisation intense de la lumière qui renvoie un effet de beauté et de perfection, ou encore les plans aériens qui accentuent la grandeur des biens proposés.

Cette image de luxe se poursuit dans la mise en scène du quotidien de cette entreprise familiale. La beauté et la grandeur de la maison familiale servant de siège à l’entreprise est mise en avant par la construction filmique. Quelques détails ostentatoires comme la balançoire dans le salon ou la présence d’un gong antique que l’on fait rituellement sonner à chaque vente renforcent et sacralisent la notion de luxe et de réussite économique, dans un esprit ultralibéral totalement décomplexé.

Cette émission à visée promotionnelle fonctionne donc sur des ressorts de résonances émotionnelles variées qui favorisent la sympathie du public, tout en créant une fascination distante via la représentation idéalisée et irréaliste de l’entreprise familiale et de la réussite.

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Carine Farias, Associate Professor in Entrepreneurship and Business Ethics, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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